Leurs enfants après eux est une chronique en quatre étés de la jeunesse des villes moyennes.
Par Eugénie Bourlet
Le
second roman de Nicolas Mathieu se lit en écoutant quatre morceaux qui
correspondent à des étés distincts, de 1992 à 1998. Parmi eux,
Smell Like Teen Spirit :
« Dans chaque ville que portait ce monde désindustrialisé et univoque,
dans chaque bled déchu, des mômes sans rêve écoutaient maintenant ce
groupe de Seattle qui s’appelait Nirvana. Ils se laissaient pousser les
cheveux et tâchaient de transformer leur vague à l’âme en colère, leur
déprime en décibels. Le paradis était perdu pour de bon, la révolution
n’aurait pas lieu ; il ne restait plus qu’à faire du bruit ». Pris dans
une disparition – celle du monde ouvrier – et un avènement – celui de la
globalisation – les habitants d’une petite vallée proche du Luxembourg
brûlent les vitesses de leur YZ ou de leur Suzuki DR, portent des Vans
(les baskets) et boivent de l’Eristof, du Picon bière et du Label 5. Au
milieu de ce déferlement de marques universalisées par les
multinationales, on trouve l’histoire d’individus bien singuliers, tel
Anthony, « jeune à crever », perdu entre la vision que la société a de
lui, celle que ses proches lui renvoient, celle qu’il croit avoir
d’eux-mêmes. Tous s’abîment en essayant de donner sens à leur vie dans
des relations intimes, fusionnelles, par-delà une inévitable obsession
matérielle. De toute façon, dans le malheur, l’égalité réapparaît… Ému
par ce
pathos joliment mis en scène, le lecteur se trouve
confronté à une tragédie racinienne revisitée : l’ensemble de l’intrigue
est concentré dans cette vallée en « soins palliatifs » au cours d’un
mois de juillet inlassablement répété. Haine, orgueil, sensualité et
ambition exacerbent les tensions qui, inéluctablement, éclatent, et
mènent à une fatalité réinventée pour les oubliés du progrès.
https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/critique-fiction-prix/nicolas-mathieu-remporte-le-prix-goncourt-2018
Comments
Post a Comment